Cathédrale Notre-Dame de Paris et Château de Shuri-jô
Reconstruire et Restaurer Leur Valeur Culturelle, Au-delà des Incendies de 2019
Captation sonore dans Notre-Dame de Paris avant l'incendie, en avril 2015. © Peter Stitt & Brian FG Katz, CNRS, 2015.
Captation sonore dans Notre-Dame de Paris après l'incendie. © Christian Dury, Chantier CNRS, Notre-Dame, Groupe Acoustique, 2020.
Modèle numérique acoustique de la cathédrale. © Bart Postma & Brian FG Katz, Chantier CNRS Notre-Dame, Group Acoustique, 2020.
Brian Katz
L’incendie de la cathédrale de Notre-Dame de Paris a mis en évidence la fragilité du patrimoine acoustique. L’acoustique d’un site, si elle possède une dimension immatérielle, dépend avant tout du bâti et de l’aménagement de l’espace. Elle est paradoxalement éphémère, bien qu’elle soit le produit de son environnement physique immédiat. Les mesures acoustiques, les simulations et les reconstitutions numériques offrent la possibilité de documenter l’acoustique de sites comme Notre-Dame de Paris, tout en permettant aux scientifiques (acousticiens, archéologues, historiens, musicologues, etc.) et au grand public d’explorer et de découvrir l’acoustique perdue.
Malgré l’intérêt dont elle fait l’objet, peu de données ont été récoltées sur les paramètres acoustiques de Notre-Dame de Paris, et celles-ci ne concordent pas. Des captations sonores datant de 1987 ont été récupérées et en 2015, une nouvelle série de captations a été réalisée. La comparaison des résultats de ces deux sessions montre qu’avant l’incendie, le temps de réverbération dans la cathédrale tendait à diminuer légèrement (8 %). Enfin, d’autres mesures effectuées en 2020, dans le cadre du chantier de restauration, montrent que le temps de réverbération a significativement diminué (20 %) depuis l’étude de 2015. De récentes études ayant prouvé que les simulations numériques et l’analyse perceptive étaient des méthodes fiables pour comprendre des conditions acoustiques complexes, un modèle géométrico-acoustique pour la simulation par ordinateur de la cathédrale Notre-Dame de Paris a été développé à partir des mesures de 2015. Utilisé comme point de référence, ce modèle peut servir à examiner l’impact de l’incendie à l’aide de mesures plus récentes, mais aussi à anticiper le résultat de certaines décisions prises dans le cadre de la restauration, concernant les matériaux et les finitions – entre autres éléments affectant l’acoustique de la cathédrale. Le modèle acoustique peut ainsi être utilisé pour étudier de possibles évolutions au fil de la reconstruction.
Par ailleurs, une enquête en cours sollicite le clergé, les organistes et les membres du chœur pour comprendre comment ces différents acteurs percevaient les qualités acoustiques de la cathédrale avant son incendie, dans le but d’identifier les conditions acoustiques idéales pour guider la restauration. En effet, l’acoustique de la cathédrale évolue continuellement au fil du temps, du fait des reconfigurations de l’espace et des travaux menés à l’intérieur de l’édifice. Dans ce cadre, le modèle acoustique peut également être mobilisé pour explorer l’évolution de l’acoustique de la cathédrale depuis sa construction, il y a plus de 850 ans. De nombreux éléments de la cathédrale ont évolué, du fait des diverses rénovations architecturales, des dommages survenus pendant la Révolution française, ou encore des variations dans les décorations employées pour certains événements religieux ou politiques. L’acoustique de Notre-Dame de Paris, qui varie d’ailleurs selon la saison, n’a jamais été une constante de l’histoire. Au contraire, il s’agit d’un objet immatériel, qui évolue en fonction de son environnement et de l’occupation humaine. Combiné aux travaux des historiens, le modèle acoustique et les simulations sonores qu’il produit permettent d’explorer et d’expérimenter ces états antérieurs de l’acoustique de la cathédrale.
L’orgue de chœur et les stalles dessinées par Robert de Cotte (XVIIIe siècle), vus depuis la tribune / The choir organ and the stalls designed by Robert de Cotte (18th century) seen from the gallery. © Myrabilla, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0, février 2013.
Le grand orgue de Notre-Dame de Paris. © Frédéric Deschamps, Wikimedia Commons, Domaine public, octobre 2006.
Isabelle Chave
Le chantier de restauration de la cathédrale de Paris englobe aussi celle de ses orgues.
Dès 1198, l’utilisation d’un orgue est attestée dans la cathédrale Notre-Dame de Paris qui, de nos jours, dispose de deux instruments : à la tribune et au chœur. Depuis l’origine, pour l’accompagnement liturgique et l’animation culturelle, cinquante organistes titulaires se sont succédé à la tribune. Au moment de l’incendie en 2019, les trois titulaires de l’orgue de tribune s’ajoutaient aux deux titulaires de l’orgue de chœur.
En 1403, sur la tribune qui accueille l’instrument actuel est érigé un grand orgue gothique, à la longévité exceptionnelle : ce grand plein-jeu médiéval sonne durant plus de trois siècles. En 1730-1733, l’orgue est reconstruit suivant une esthétique classique dans un buffet majestueux. Lors du grand chantier de l’architecte Viollet-le-Duc, le facteur d’orgues Aristide Cavaillé-Coll conçoit un très grand instrument symphonique placé dans le buffet monumental du XVIIIe siècle. Le projet est présenté à l’Exposition universelle de Paris en 1867, avant son inauguration. Sur cet instrument très sollicité pour les usages cultuel et culturel, des modifications ont lieu tout au long du XXe siècle. Pour les 850 ans de la cathédrale, une nouvelle campagne permet d’inaugurer, en 2014, un instrument constitué désormais de 115 jeux et de 7952 tuyaux, répartis sur 5 claviers de 56 notes et un pédalier de 30 notes.
L’orgue de chœur date, quant à lui, du XIXe siècle. Il y en a d’abord deux, construits en 1841 et 1844, et remplacés par un nouvel instrument installé en 1863 par l’architecte Viollet-le-Duc au-dessus des stalles du chœur, dans un buffet néogothique qu’il dessine. Entièrement reconstruit en 1911, il nécessite à nouveau une importante restauration en 1966 et est jugé irrécupérable. Un nouvel instrument est créé par le facteur d’orgues Robert Boisseau, remployant le buffet d’origine et quelques tuyaux de bois de 1911, dont les travaux de construction s’achèvent en mai 1969. Régulièrement entretenu et utilisé quotidiennement, il est entièrement relevé en 2010.
Au cours de l’incendie du 15 avril 2019, des suies chargées en plomb se déposent dans les deux instruments. Au début du mois d’août 2020, la console du grand orgue est déposée et le démontage de ses 8000 tuyaux est achevé le 9 décembre 2020. L’orgue de chœur, arrosé par les eaux projetées pour préserver les stalles du chœur et par les eaux de ruissellement provenant des voûtes, est gravement endommagé : seulement 90 % de la tuyauterie métallique et les boiseries du buffet seront réutilisables ; la console, la tuyauterie en bois et le système de soufflerie et de transmission ne pourront être réemployés.
Chœur d'adultes de la maîtrise de Notre-Dame de Paris, 22 octobre 2017 © Léonard de Serres, 2017
Concert de Noël à la cathédrale Notre-Dame de Paris, 24 décembre 2020 © Henri Chalet, 2020
Isabelle Chave
Gardienne d’un patrimoine immatériel musical extraordinaire, la Maîtrise Notre-Dame, créée aux XIIe et XIIIe siècles, en même temps que la cathédrale, est administrée par l’association Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris, organisme responsable de tous les offices sur le plan musical et fédérant de multiples activités musicales à la cathédrale. La formation, accueillant des enfants et des adultes, assure un enseignement complet en chant soliste et choral, de l’initiation à la formation professionnelle. Tirant sa singularité de la diversité des disciplines enseignées et des répertoires abordés, la Maîtrise a conduit d’importantes recherches sur le répertoire grégorien et la musique médiévale, et sur leurs rapports avec l’architecture. L’acoustique n’est pas uniforme dans tout l’édifice ; les chœurs peuvent rechercher, en se déplaçant, différents plans sonores, en travaillant la notion de « spatialisation » de la musique. Ils peuvent aussi jouer avec la statuaire et se placer face à telle ou telle œuvre en fonction des pièces du répertoire.
C’est le dimanche 14 avril 2019, pour la messe des Rameaux, que la Maîtrise a chanté un dernier Stabat Mater. Elle a été profondément touchée par l’incendie survenu le lendemain, ce à quoi sont venues s’ajouter les difficultés financières induites par la pandémie. Quelques mois après le sinistre, l’association Musique Sacrée, qui comptait une soixantaine de salariés, a dû se séparer de 80 % de son personnel.
Depuis l’incendie, seules trois cérémonies, sans public, ont été organisées dans la cathédrale. La Maîtrise n’a retrouvé l’édifice que pour les fêtes de Noël en 2020, lors d’un concert rassemblant son directeur et huit chanteurs, accompagnés par l’organiste Yves Castagnet, au clavier d’un orgue positif acheminé pour l’occasion, la soprano Julie Fuchs et le violoncelliste Gautier Capuçon.
La Maîtrise est l’héritière des savoirs et savoir-faire des maîtres de chapelle de la cathédrale de Paris au Moyen Âge, depuis les polyphonistes Léonin et Pérotin aux XIIe et XIIIe siècles. Le chant grégorien tient une place très importante dans l’apprentissage de la Maîtrise, seule formation en France à le faire vivre ; mais son répertoire couvre aussi 800 ans de musique. Porteuse d’un répertoire musical aussi ancien que les pierres de la cathédrale et célébrée pour la qualité de son projet pédagogique et son investissement dans la transmission du chant choral, elle ne fera pleinement revivre son patrimoine immatériel qu’en retrouvant accès à son cadre naturel de pratique.
Vue intérieure de la rose nord du bras nord du transept et du puits de lumière laissé par l’effondrement des voûtes de la croisée du transept. © Dominique Bouchardon, LRMH, 21 juin 2019.
Verrière d'une des chapelles du chœur, cathédrale Notre-Dame de Paris. Détail : légende de Saint Hubert. Right stained-glass window of Saint-Georges chapel, Notre-Dame de Paris © Vassil, Creative Commons, 19 décembre 2008.
Paris, cathédrale Notre-Dame, observation de la rose occidentale par l’équipe du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH). © Alexandre François, LRMH, 14 juin 2019.
Claudie Loisel
Lors de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, tous les vitraux historiés sont préservés. Dès le lendemain, un nouveau regard peut être posé sur ces vitraux, éclairés à la fois par la lumière transmise et la lumière réfléchie provenant du cratère lumineux creusé à la croisée des transepts par la chute de la flèche. À la catastrophe, matérialisée par l’effondrement d’une partie des voûtes, les cascades de plomb fondu et la flambée de la charpente, succède une source de lumière éblouissante et colorée au travers des vitraux intacts.
Le vitrail est un art français associant différents matériaux : le verre coloré dans la masse, le plomb de sertissage et les peintures opaques ou translucides. Sans la lumière, un vitrail est éteint, il ne vibre pas. Les variations de luminosité créent un mouvement perpétuel de ces œuvres d’art. D’une certaine façon, la lumière offre, par les reflets qu’elle diffuse, une troisième dimension au vitrail. Si restaurer les matériaux est une étape cruciale et délicate, nécessitant les compétences d’expert, l’anticipation du rendu de cette force immatérielle qu’est le flux de lumière colorée doit être prise en compte dès le début de la restauration. Quelle luminosité souhaite avoir Notre-Dame : la lumière intense et colorée des XIIe et XIIIe siècles, ou celle plus atténuée du XIXe siècle ? Au XIXe siècle, l’emploi de patine sur la totalité des vitraux était fréquent pour assombrir les édifices et permettre ainsi le recueillement des fidèles.
L’une des richesses de la cathédrale Notre-Dame de Paris réside dans la variété de ses vitraux, créés à différentes époques : elle dispose d’une collection allant du XIIe au XXe siècle, en passant par les XIIIe, XIVe, XVIe, XVIIIe et XIXe siècles. Notre-Dame est un véritable reflet de l’histoire de l’art du vitrail en France. Sans le savoir, les visiteurs et les fidèles s’imprègnent de cette lumière colorée, porteuse, au travers des vitraux, de plus de 850 ans d’histoire. Ces œuvres majeures et les lumières qu’elles produisent, héritées de nos prédécesseurs, doivent être restaurées et préservées le plus respectueusement possible, selon les règles déontologiques, pour être transmises aux générations futures.
Lumières du jour à Notre-Dame © Benjamin Mouton
Vitraux à grisaille des chapelles © Benjamin Mouton
Grisailles des chapelles du chœur © Benjamin Mouton
Vitraux des baies d’axe © Benjamin Mouton
Benjamin Mouton
Lumière gothique
L’architecture gothique est celle de la lumière : c’est en effet par le déchargement des murs permis par la croisée d’ogives que les fenêtres s’ouvrent et reçoivent de grandes verrières colorées. L’art du vitrail s’épanouit, et connaît ses grandes heures. Dès le XIIème siècle, Notre-Dame contribue à cette évolution, et l’allongement des fenêtres hautes au début du XIIIème siècle en a amplifié le programme de lumières.
Altérations
Au début du XIVe siècle, les verrières hautes du chœur furent remplacées par des verrières claires, puis, les chapelles basses, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle : il y a eu rupture avec l’esprit de l’architecture gothique.
Miraculées pendant l’incendie, les trois rosaces ont été épargnées.
Et restauration
S’inspirant des vitraux du XIIIe siècle conservés dans d’autres cathédrales et des verrières des roses encore en place, Lassus et Viollet-le-Duc ont restitué la lumière gothique selon un programme homogène et rigoureux, fondé sur une progression chromatique vers le sanctuaire, et étagée vers les baies hautes.
En bas : les verrières des chapelles des bas-côtés et du déambulatoire sont à verres clairs, grisailles et bordures colorées ; mais dans les trois chapelles d’axe du déambulatoire, elles sont garnies de médaillons dans la coloration intense du XIIIe siècle.
Au-dessus, les verrières des tribunes, chargées d’éclairer la nef et le chœur, sont à verres clairs identiques. Le niveau haut est garni de verrières claires dans la nef, mais dans le chœur, de vitraux à grands personnages, motifs géométriques et végétaux vivement colorés.
Attentifs à respecter les caractères du vitrail du XIIIe, l’échelle des verres et des plombs, la sobriété des grisailles et la saturation des couleurs, en résonnance avec la hiérarchie naturelle de l’architecture et la liturgie, Lassus et Viollet-le-Duc ont rétabli ainsi la lumière gothique que l’architecture appelle, et qui projette sur les murs et les décors polychromes, des mosaïques vivantes de couleurs.
Toutes les verrières sont encore en place ; mais dans la haute nef, elles ont été remplacées par des verrières contemporaines, sans rupture d’échelle ni de coloration.
Lumière du jour, lumière de la nuit
Il y a une lumière du jour, suivant les heures du soleil, et une lumière de la nuit : au XIXe siècle, la nef et le chœur ont été éclairés par de grands lustres descendant des hautes voûtes, et complétés à la croisée par la magistrale « couronne de lumière », ponctuant fortement l’enfilade des hauts vaisseaux à l’entrée du chœur. Dans les bas-côtés, des appliques distribuaient une lumière plus discrète : hiérarchie encore des espaces et du temps.
Les lustres ont été déplacés dans les grandes arcades ; la couronne de lumière est en exil à Saint-Denis ; l’augmentation progressive de l’intensité de la lumière intérieure a rompu l’équilibre subtil entre le jour et la nuit.
Mystère de Notre-Dame
Depuis l’incendie, une lumière crue et blanche tombant des voûtes effondrées inonde l’intérieur de la cathédrale, bousculant avec une violence inattendue tout cet équilibre de l’architecture avec sa lumière. Paradoxalement, on a pu entendre des commentaires se réjouissant de cette lumière révélant les détails de la construction. Mais l’architecture ne se limite pas à la construction...
La preuve est faite : à Notre-Dame, avec les résonnances sonores et les odeurs, l’harmonie des lumières et des couleurs est une composante fondamentale de l’architecture. Elle constitue la part du « Mystère » de la cathédrale, une de ses valeurs immatérielles essentielles qui doit être rétablie avec fidélité.
Verrières des tribunes © Benjamin Mouton
Rose sud © Benjamin Mouton
Chœur © Benjamin Mouton
Verrières modernes de la nef © Benjamin Mouton
Lustres dans les grandes arcades © Benjamin Mouton
Pénombre des bas-côtés © Benjamin Mouton
Illumination intense de la cathédrale © Benjamin Mouton
Mystère de Notre-Dame © Benjamin Mouton